Affaire Milla : entre liberté d’expression menacée et droit au blasphème

Le 18 janvier dernier, une jeune femme du nom de Mila a posté une vidéo sur les réseaux sociaux.  « L’islam c’est de la merde »« religion de haine », la viralité et la polémique constatées soulèvent une question plus profonde, celle du droit au blasphème. 

Menacée de mort, déscolarisée d’urgence, Mila a dû faire face à un déferlement de haine suite à une prise d’opinion publique. Après avoir été lourdement draguée sur Twitter, la jeune femme, ouvertement lesbienne, a recalé son interlocuteur qui s’est empressé de l’insulter ensuite, notamment par rapport à son homosexualité. Agacée de la situation, elle s’en prend à la religion musulmane et à l’intolérance de celle-ci. Tout de suite traitée d’islamophobe et accusée d’incitation à la haine, Mila n’a pourtant rien fait d’illégal. 

Le blasphème a été abrogé en France par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, toutefois l’article 24 de cette même loi stipule « l’interdiction de discriminer, violenter ou d’inciter à la haine une personne ou groupe de personnes en raison de leur religion. » On peut donc critiquer une religion mais pas les croyants de celle-ci. Cette frontière est « assez fine car il faut faire le départage entre ce qui est de la critique des personnes et la critique de la religion », comme l’explique Basil Ader, avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit des médias et en liberté d’expression. Originellement encadrée en 1881, puis complétée en 1972 avec la loi Pleven, la liberté d’expression et surtout la lutte contre la discrimination s’est vue renforcée en termes législatifs. L’avocat rappelle qu’« au moment de la séparation des pouvoirs et des mouvements anticléricaux, cela supposait la liberté de moquer et de stigmatiser les religions et leurs rites » mais que « pour autant il est apparu que cela pouvait dégénérer en forme de racisme, de discours raciste », limite que pose la loi Pleven

Aux yeux de la loi républicaine française, Mila est donc dans son bon droit. « Elle n’en veut pas aux musulmans mais à leur dieu, à leurs rites et à leur religion », affirme Basil Ader. Depuis, le parquet a tout de suite classé sans suite car « il a considéré qu’il n’y avait pas d’incrimination à l’égard des personnes mais uniquement à l’égard de la représentation religieuse », explique l’avocat. 

Même si aucune loi n’a été enfreinte dans cette affaire, la liberté d’expression a pourtant été mise à mal par les intolérants de la République. Garantie par des textes fondateurs, la liberté d’expression est « défendue devant les tribunaux mais elle n’est pas toujours admise par les autres », explique Basil Ader. Dans les faits et notamment depuis l’apparition des réseaux sociaux et de la parole donnée à tous, tout le temps, l’intolérance est, elle aussi, libérée. 

Intolérance libérée

« Ce que je déplore c’est un peu cet esprit d’intolérance qui est en train d’envahir l’espace public surtout depuis qu’il y a les réseaux sociaux, où plus personne ne supporte la contradiction, la critique… », confie l’avocat pour qui les réseaux sociaux sont à la fois l’origine du problème mais aussi une avancée démocratique immense. 

Le risque des réseaux sociaux est l’engendrement de comportements que l’nous n’aurions pas dans la vie réelle, mais sous couvert d’anonymat et/ou d’inconscience, les dérapages sont nombreux et peu contrôlés. Basil Ader explique que « les individus se croient autorisés à ne pas respecter la loi parce qu’ils ne supportent pas quelque chose qui pourtant est autorisée par celle-ci », paradoxe technologique probablement dû à un dépassement législatif. « La loi est dépassée, c’est le retour de la justice privée, nous tombons dans une jungle, une violence qui n’existait pas avant », déplore l’avocat pourtant spécialiste des médias. 

Cette affaire, qui en est une sans réellement l’être, soulève plusieurs grands questionnements. Premièrement l’encadrement législatif dépassé voire inexistant de l’Internet, après l’avènement des réseaux sociaux. Puis plus spirituellement, la place de la religion dans la société et les conséquences que l’étalement de celle-ci peut avoir en place publique. 

© Quotidien

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