La solastalgie, le nouveau mal-être conjoncturel

À l’instar de Greta Thunberg ou des mouvements comme Youth For Climate, la jeunesse est inquiète face au dérèglement climatique et ses conséquences. Selon un sondage IFOP de 2018, 93 % des jeunes de 18 à 24 ans se disent inquiets en y réfléchissant. Cette angoisse se traduit par une détresse psychique pouvant avoir des répercussions physiques. Ce nouveau mal-être s’appelle la solastalgie.

La France est en retard face à ce nouvel enjeu de santé publique. Aux États-Unis, le phénomène est étudié depuis les années 1990 et l’éco psychologie s’est développée afin de renouer avec son lien à la nature, pour mieux appréhender l’avenir. Ce nouveau domaine qui allie écologie et psychologie et où les professionnels de ces deux disciplines ont pris conscience de l’interconnexion entre humain et nature, permet d’expliquer et de comprendre l’origine de la solastalgie naissante.

En Europe, le premier à avoir développé le principe de solastalgie est Glenn Albrecht, en 2007. Ce philosophe australien de l’environnement a écrit un article intitulé « Solastalgie : la détresse causée par le changement de l’environnement ». Il se base sur un constat réalisé par Elyne Mitchell qui explique dans son livre, Soil and Civilization, publié en 1946, l’importance de la connexion entre les humains et la sauvegarde de l’écosystème. Particulièrement dans le domaine agricole, où les travailleurs subissaient de plein fouet les effets de l’industrialisation de l’agriculture et donc des conséquences sur l’environnement. 

Les symptômes d’une société en décalage

Semblable à une épée de Damoclès, l’emballement climatique peut affecter moralement et physiquement les individus, qui vont « se retrouver dans une situation où ils ne vont pas réussir à mettre des mots sur leur mal-être », selon Alice Desbiolles, médecin de santé publique spécialisée en santé environnementale. Allant d’une simple frustration face à une société qui court à sa perte, à la dépression dans les cas les plus extrêmes. Même si pour le médecin spécialiste « ce n’est pas la majorité des cas que je recueille ».

Elle est contactée via sa page Facebook le stétho d’Alice, initialement consacré au bien-être naturel et reçoit des centaines de témoignages où « des personnes (lui) demandent des conseils, pour savoir ce qu’elles peuvent faire et surtout partager leurs inquiétudes. (Elle a) encore une personne qui (lui) a écrit hier». Créant une sorte de communauté autour de cet enjeu, elle est considérée comme une référence dans le milieu médical :  « Je suis identifiée comme professionnelle qui a conscience de ces enjeux, des personnes m’écrivent donc spontanément et me font part de leur intimité sur ce domaine-là ». En confiant leurs colères, frustrations et/ou indignations, Alice Desbiolles a pu relater des points communs mais aussi des divergences dans la manière dont la solastalgie va être ressentie.

L’origine commune de ce malaise est l’orientation et l’évolution de la société dans sa globalité. Particulièrement sur le volet écologique, avec la destruction de la biodiversité et les catastrophes climatiques ; mais également avec le décalage du fonctionnement de la société face à cette réalité environnementale dystopique. Alice Desbiolles parle d’« injonctions contradictoires quotidiennes », elle met en avant le paradoxe entre une « prise de conscience de l’amenuisement des ressources » et la continuité « des Blacks Fridays, des fêtes de Noël où l’on se couvre tous de cadeaux, et de la surconsommation en générale ». Cette schizophrénie sociétale n’arrange en rien les solastalgiques qui subissent de plein fouet ce sentiment de décalage.  

Les divergences se manifestent dans la réponse individuelle à ce malaise. Le médecin rassure : « En général les gens arrivent à faire face à leurs questionnements et à leurs inquiétudes mais ont besoin de repères et de conseils. » Elle déplore en revanche l’absence de la parole médicale face à ce sujet sociétal récent : « Je me suis plus spécialisée là-dedans parce que c’est un enjeu majeur mondial et où la parole médicale n’est pas forcément portée. » Profession qui ne reconnaît pas la solastalgie comme « une maladie à part entière ». Même si le facteur temps joue un rôle dans l’intérêt porté, la spécialiste « trouve important que les médecins soient présents et implantés au niveau de la santé de la société et non uniquement celle de l’individu. » De par la nouveauté de ce phénomène, un manque de formation professionnelle face aux questions climatiques explique également la difficulté de porter en avant ce sujet. Mais l’engagement de la jeunesse et l’intérêt porté par certains médias à propos de cet enjeu environnemental permet sa mise en avant.

Un mal générationnel, mais pas que

Si l’on peut penser que la solastalgie ne touche qu’une population de jeunes individus, ce malaise socio-environnemental n’est pas exclusif à cette tranche de population. Alice Desbiolles trouve que « ce serait trop réducteur » de qualifier ce mal de « générationnel ». « Il y a des personnes qui sont solastalgiques, mais cela fait trente ans. Que ce soit des populations indigènes, des aborigènes, eux cela fait trente ans qu’ils ressentent cela, les paysans typiquement qui ont un rapport très puissant à la terre aussi », rappelle le médecin.

Toutefois, une question revient souvent dans la réflexion solastalgique, notamment liée à la possibilité et l’envie ou non de se projeter dans l’avenir. Réflexion plus propice aux jeunes et personnes actives. « Beaucoup de jeunes vont se demander s’il faut faire des enfants ou pas », relève la spécialiste. Cette réflexion a été défendue par une tribune au Monde et qui rappelle aussi l’enjeu démographique, intimement lié aux enjeux climatiques à venir.

« J’ai remarqué que le moment où nous accédons à la parentalité c’est le moment où nous allons nous poser plus de questions, être plus réceptifs à toutes ces questions sur le futur, le rapport au temps va changer, l’envie de se projeter ou non », ajoute Alice Desbiolles, selon les témoignages et confidences reçus. Une fois ce constat posé, comment réussir à se sortir de cet état d’anxiété dans une société pas toujours cohérente ?

Arriver à se construire en même temps que la fin d’un monde

Charline Schmerber, praticienne en psychothérapie qui tient un site spécialisé en solastalgie, rappelle que cela peut-être la fin « d’un » monde mais pas « du » monde. La notion de résilience devient alors essentielle afin de prendre un recul mental nécessaire. Pour Alice Desbiolles, « il est important d’être en cohérence avec ces inquiétudes-là et donc d’agir de manière à réduire son empreinte carbone, pour se sentir moins impuissant et moins culpabiliser ». L’individu peut adapter son comportement selon ses valeurs et ses inquiétudes, mais il est plus difficile de jauger et digérer la réalité, parfois dérangeante : « Il faut essayer de ne pas avoir trop de flux ou d’idées négatives de soi et de son comportement. Parfois il est important de lâcher du lest pour ne pas se sentir responsable de tout parce que ce cela devient invivable, ce n’est pas l’objectif. » Le sentiment d’impuissance est certes, inévitable dans ce contexte, mais « il ne faut pas se pas se laisser envahir par une mélancolie qui serait éprouvante et contre productive », ajoute le médecin.

La mélancolie éprouvée face à un monde qui nous échappe est logique et s’explique pour la psychothérapeute Charlin Schmerber. Mais l’attachement à ce monde qui disparaît en partie ne doit pas entacher l’énergie nécessaire pour construire celui de demain. Cet élan volontaire de changer la société ne doit pas forcément passer par les pouvoirs publics selon Alice Desbiolles, même si l’impulsion politique est nécessaire dans des questions aussi importantes que celle du réchauffement climatique. « Les gens ne se sentent pas malades. Ils veulent juste que le monde change, donc pour que les personnes se sentent bien dans cette société, il faudrait qu’elles soient plus respectueuses de l’environnement, de la biodiversité, des générations futures tout simplement. », rationalise la spécialiste.
Le bon sens est de mise dans les solutions environnementales et semble « plus cohérent qu’un plan sur la solastalgie », pour Alice Desbiolles. L’intérêt premier pour elle est de « s’attaquer aux causes de ce mal-être et de ce rapport au monde, plutôt que de soigner à coup de thérapie. »

© Pixabay

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